L'Héritage d'un Patriarche Polyvalent
Il est temps de parler un peu de lui. Le patriarche Jean Matèkè, de son vrai nom Elonda Jean, était un fils originaire du canton Bakoko Moungo ( Sawa ) , faisant partie du grand groupement Matèkè-Mpèkè du village Bali, situé dans l'arrondissement de Dibombari. Jean Matèkè fut l'un des premiers interprètes entre les Allemands et les populations locales grâce à sa maîtrise des langues allemande, anglaise et française.
Son parcours remarquable débuta comme écrivain public, et il occupa également des fonctions d'assesseur dans les tribunaux de Dibombari, Mbanga et même Nkongsamba. Homme politique de la première heure, Jean Matèkè joua un rôle crucial avant et après l'indépendance du Cameroun. En outre, il fut un grand commerçant de son époque, connu pour son dynamisme et son sens des affaires.
La particularité qui lui valut le qualificatif spécial de "Na walame buka Jean Matèkè" (l'homme toujours en mouvement) réside dans ses nombreuses fonctions et son emploi du temps constamment chargé. Entre Bakoko, Dibombari, Douala, Mbanga, Nkongsamba, Yaoundé et bien d'autres localités, Jean Matèkè était toujours en déplacement. Il était aisément reconnaissable à sa tunique, son parapluie, son sac rempli de documents d'affaires et son chapeau sur la tête. Lorsqu'on l'interceptait en route, il déclarait souvent être pressé, devant se rendre à un rendez-vous ou à un autre endroit, avant de fixer un autre rendez-vous à ses interlocuteurs. Il pouvait passer plusieurs jours hors du village avant de rentrer, ce qui renforça son surnom.
Jean Matèkè était également polygame et laissa derrière lui une grande descendance composée de plusieurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Ces descendants continuent aujourd'hui de servir la République du Cameroun, perpétuant ainsi l'héritage de leur illustre ancêtre.
En retraçant la vie de Jean Matèkè, on comprend mieux l'ampleur de son influence et l'importance de ses contributions. Il était un pionnier dans de nombreux domaines et sa capacité à jongler entre différentes responsabilités et lieux démontre sa polyvalence et son dévouement. Son histoire est un témoignage de l'engagement et de la résilience nécessaires pour naviguer les complexités de la société coloniale et post-coloniale camerounaise.
Jean Matèkè a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire de son pays, et sa mémoire perdure à travers les récits de ceux qui l'ont connu et des générations qui continuent de raconter son histoire.
L'histoire de Dauphin Tailleur
Parmi les enfants de Jean Matèkè, il y avait Mikoutou, aujourd'hui de regrettée mémoire. Mikoutou était un tailleur célèbre à Yaoundé, plus précisément à la montée Etoa Meki, où il était connu sous le surnom de "Dauphin Tailleur". Ce surnom était si ancré dans la culture locale qu'il engendra celui de sa regrettée fille, Dauphinette, dont le vrai nom était Engomè.
Un jour, à Yaoundé, à l'époque où les circuits, ces fameuses gargottes, étaient en plein essor, j'ai eu une rencontre mémorable avec Dauphin Tailleur. Ce jour-là, je me trouvais chez une gargotière surnommée Manyè, située à Mvog-Ada. J'étais accompagné d'un ami, lui aussi malheureusement disparu aujourd'hui. L'atmosphère était tranquille, avec peu de monde, ce qui nous permettait d'entendre distinctement les conversations autour de nous.
Je discutais avec mon voisin de table, qui me révélait avec enthousiasme qu'il venait de remporter un marché public. Nos échanges, bien que passionnants, étaient clairement audibles pour ceux qui nous entouraient. C'est alors que Monsieur Mikoutou, alias Dauphin Tailleur, se leva et, se dirigeant vers moi qu'il connaissait, me conseilla avec une sagesse empreinte de vécu :
"Fiston, n'engagez plus pareilles discussions en un lieu public. Le monde d'aujourd'hui a perdu ses valeurs morales, il pullule de prédateurs."
Il partagea avec nous une anecdote personnelle pour illustrer son avertissement. Il nous raconta comment, un jour, il fut trahi par un authentique fils duala, un homme respecté et bien établi, à qui il avait imprudemment révélé un projet. Cet homme, sans la moindre honte, lui vola l'idée et l'exécuta à sa place. Par respect et discrétion, Mikoutou préféra taire le nom de ce traître.
Ce récit de Mikoutou n'était pas seulement une mise en garde, mais aussi une leçon sur la prudence et la confiance. À travers son expérience, il nous rappelait que, bien que Jean Matèkè soit décédé, son esprit et ses leçons de vie continuaient de vivre en nous.
Jean Matèkè est peut-être parti, mais son héritage perdure à travers les vies et les histoires de ses enfants, comme celle de Dauphin Tailleur, qui nous rappellent l'importance de la vigilance et de l'intégrité dans ce monde en perpétuelle évolution.
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